Quand la beauté nous sauve
- Les Choses de la vie
- 25 mai
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 mai
Sans y paraître, loin d'être futile ou superflue, la beauté relève du sens de l'existence. Nombreux sont celles et ceux qui ont traversé ou traversent une dure épreuve, et qui parlent d'une sensibilité accrue à la beauté. La constatation la plus fréquente est sans doute un élargissement de notre conscience à la beauté de la nature.
Comme on dit, "les goûts et les couleurs", ça ne se discute pas ! Il ne s'agit donc pas ici de cela. La beauté est une expérience intime, qui avec bonheur peut parfois être partagée dans une certaine symbiose avec l’autre ... La beauté bouleverse nos sens et fait vibrer notre âme. Elle est un besoin essentiel qui se fera ressentir d’une façon particulière lorsque nous nous retrouvons face à la dureté de la vie, notamment après la perte d'un être cher.
Retour sur une soirée de partage d'expériences et de connaissances, organisée par l'association ...
En guise de commencement, un petit clin d'œil, à la salle communale qui accueille depuis plus de trois ans les groupes de parole, les soirées et les ateliers des Choses de la vie : l'espace Paradis ! En effet, nous parlons de nos défunts au Paradis, nous partageons des thèmes liés à la spiritualité chaque mois au Paradis ! Un peu spécial non ? Certains y verront un pur hasard quand d'autres y verront un signe mystérieux qui nous dépasse tous.
Partager nos expériences de beauté au Paradis coulait donc de source pour certaines et certains ... Tout naturellement, je pense à une citation de François Cheng qui ne nous contredira pas !
Chaque expérience de beauté rappelle un paradis perdu et appelle à un paradis promis.
Une expérience de beauté est un instant de grâce, une nourriture pour le coeur, le corps et l'esprit. Elle se déploie par la magie d'un moment de grande connexion à notre Soi.
La nature

Il arrive évidemment que devant l’énigme de la beauté naturelle, nous nous posions la question de Dieu. Charles Pépin
Devant un paysage à couper le souffle, la perfection d'une fleur, la majesté d'un animal ..., le temps d'un émerveillement, qui ne sait jamais posé cette question à un moment donné de sa vie ? Cette expérience spontanée, vécue comme une union parfaite avec la magie du vivant sous nos yeux, est une grâce, une parenthèse en dehors de nos tourments, nos ruminations. Mystérieusement, dans cette connexion entre le Soi et notre environnement, nous ne nous sentons plus seuls. Valérie, présente lors de la soirée, employa le terme d'expansion de l'Être pour décrire ce qu'elle ressentait lors de ses propres expériences. Cette beauté naturelle agit également comme un soin, un baume sur nos cœurs blessés, brisés ...

Dans la beauté on retrouve l’énergie nécessaire à toute lutte. Et la possibilité d’un sens. Christiane Noireau
Afin d'illustrer le propos, je partage le court extrait d'un texte écrit, trois ans après le perte de mon fils ainé. Je l'avait intitulé Le sourire de la grâce.
Le souvenir d’un moment de grâce est encore de la grâce. Toutes les cellules du corps en gardent la mémoire, comme un doux sourire sans fin venant de l’intérieur. Il demeure toujours accessible si je l’invoque.
Lors d’une promenade matinale, le regard d’un écureuil comprenant mon chagrin abolit d’un seul coup mon sentiment de solitude par sa compassion entière et pure. Un ressenti intense, étrange et inoubliable. Un instant de grande beauté, un moment suspendu.
(...)
Et cet enfant qui, par un geste surprenant, se tourne vers moi marchant, sur un sentier côtier. Son regard me pénètre d’une étrange et familière reconnaissance. D’une manière merveilleuse et instantanée, il fait disparaître totalement mes souffrances. Il touche mon âme comme une flèche d’amour vous transperce le cœur. Sa douceur me parcourt entièrement.
Malgré le chagrin et le désespoir, ces expériences uniques et précieuses provoquent irrésistiblement un sourire béat sur vos lèvres, et cela bien malgré vous. Indélébiles et surnaturelles, elles sont comme une lumière qui ne peut se contenir. Une lumière qui rejaillit par le sourire. Un sourire logé dans l’œil de la Source au cœur d’un échange de regard avec des animaux ou des enfants.
Une expérience de beauté, un moment de grande compréhension et de reconnaissance. Le souvenir de ces moments puissants demeure encore rempli de sens. La grâce a des répercussions et des vibrations hors du temps et de l’espace. Harmonie parfaite entre un rayonnement intérieur et une connexion à la vie.
Yoann, la grâce est une fontaine de jouvence.
Lors de notre soirée sur le thème de la beauté, certaines ont généreusement partagé des expériences personnelles touchantes par leur grande sincérité, et des écrits. Notamment, lors d’une période très difficile de sa vie, une participante nous raconte, comment un arbre singulier s'est révélé être une rencontre essentielle, une source d'apaisement ; arbre pour lequel elle ressent encore aujourd'hui une profonde gratitude. Afin de lui rendre hommage, elle lui avait dédié un poème.
L'Arbre
Ô toi le Majestueux, qui me parle de ma vie
Tu m'ancres à la terre et par ton énergie
Tu me rends joyeuse
Ô toi le Majestueux
De cette forêt, tu es le plus grand
De tes branches qui s'élèvent à l'infini
Les écureuils et les oiseaux font partie de ta vie
Ô toi le Majestueux
Qui m'a redonné goût à la vie
Depuis ce jour béni, tu es devenu mon ami.
Ginette AMADEÏ - 2019
Également, un extrait de L'année du jardinier, de Karel Capek, aura été lu par Monique. Un hymne délicat à la beauté des jardins et des fleurs, en résonance avec la relation qu'elle entretient avec son propre jardin.

Extrait de l'extrait lu par Monique ....
(...) les bourgeons, qui, ce matin encore, étaient entortillés dans leurs langes, ont donné naissance à de petites pointes de feuilles, les tiges de forsythias rayonnent d'étoiles d'or, les plis gonflés des bourgeons de poiriers se sont tendus et sur la pointe de je ne sais quels bourgeons étincellent des yeux jaunes et verts. (...) Éclatez, préludes de cette marche non écrite. Brillez au soleil, cuivres dorés, retentissez, tympanons, jouez, flûtes, répandez votre pluie d'harmonie, innombrables violons, car le jardin calme, gris et vert, s'est mis victorieusement en marche.
Vivre dans un bel environnement est important. Selon certaines études, il en irait même de notre santé physique autant que psychique.
Les privilèges de la beauté sont immenses. Elle agit même sur ceux qui ne la constatent pas. Jean Cocteau
Les paroles de la chanson de Georges Moustaki, intitulée Il y avait un Jardin, auront été lues par Geneviève ( Ci-après, à découvrir pour les plus jeunes ou à réécouter pour les autres ...). Un cri d'alerte sur la laideur qui s'installe parfois dans nos villes et leur manque cruel d'un monde végétal, écrit en 1971.
L'amour
L'expérience de beauté a à voir avec la haute fréquence des vibrations de l'amour.
Le poème de Jacques Prévert, partagé par Valentine, évoquait bien le beau Mystère de l'amour ...
Chanson

Quel jour sommes-nous
Nous sommes tous les jours
Mon amie
Nous sommes toute la vie
Mon amour
Nous nous aimons et nous vivons
Nous vivons et nous nous aimons
Et nous ne savons pas ce que c'est que la vie
Et nous ne savons pas ce que c'est que le jour
Et nous ne savons pas ce que c'est que l'amour.
Le plaisir que la beauté nous donne n’est jamais superficiel : elle nous aide à mieux nous connaître, à oser être ce que nous sommes, à accueillir le mystère de l’existence. Charles Pépin
Au regard de quelques-uns, il semble parfois bien superflu d’être attaché à vivre entouré de beaux objets, de mettre un point d'orgue à se vêtir d’habits bien coupés, soigneusement choisis ... Le témoignage passionné de Frédérique démontra encore une fois que c'était loin d'être vrai pour tous ! Élevée dans une famille où elle ne pouvait afficher son désir et son besoin de belles choses sans que cela soit jugé futile ou superficiel, elle avait finalement étouffé une grande partie d'elle-même. Bien plus tard, en rompant avec son entourage, elle pu s'affranchir du regard de son milieu afin d'aller au bout de ses aspirations. Dans notre société où il est de bon ton, par snobisme intellectuel, d'être radicalement contre le « matérialisme », Frédérique nous aura rappelé qu'on pouvait même s'émerveiller devant certaines créations industrielles de l'Homme, et cela, sans honte ! Elle partagea, par exemple, son plaisir régulier à réaliser qu’elle avait une belle voiture ! Voiture d'un rouge Ferrari magnifique, d'un design harmonieux et constituée de matériaux somptueux. Finalement, cette voiture, à sa manière, participait chaque jour à la faire se sentir bien. S'autoriser à vivre son attirance pour les belles choses, allant de la couleur d'un simple rouge à lèvres à des meubles anciens, lui avait permis, au fil des années, d'oser être elle-même dans une grande liberté de penser et une conscience accrue de la beauté en général. Sa quête spontanée de beauté, de façon progressive, engendrait parallèlement l'épanouissement de son être profond. Son rayonnement et sa fraîcheur n'auront échappé à personne lors de cette soirée ...

La beauté n’est pas simplement belle, elle est utile. Bertrand Vergely
Une tendance à soigner particulièrement la décoration intérieure de sa maison est souvent observée chez certaines personnes endeuillées ... J'y vois un recours essentiel très instinctif ...
Pour étayer mon propos : un court extrait de mes écrits salvateurs suite à la la perte de Yoann
Désespérément, comme on peint des tableaux, chaque jour, de nouvelles compositions sont orchestrées. Chaleur tamisée, pâtisseries charnues, porcelaines fleuries, vases de lumière, effluves de sérénité et sphères de verre … Je voudrais savoir peindre comme Chardin. Transcender les natures mortes, mettre en scène la lumière, ramener la vie autour de la table. Des arrangements décoratifs quotidiens nécessaires, qui apparaîtront bien futiles.
S’entourer d’une beauté qui répare.
Combien de beaux objets, de beaux tissus, de beaux paysages et de belles poésies faudra-t-il encore pour compenser l’horreur, amoindrir la laideur, barrer la route aux vents mauvais ?
La pratique de l'artisanat d'art, la sublimation dans l'art, la puissance d'une rencontre avec une œuvre
La beauté touche les sens et le beau touche l'âme. Joseph Joubert

Beaucoup d'entre nous auront découvert la broderie diamant avec Nelly qui nous a expliqué comment la pratique de cette technique assez simple, réclamant beaucoup de patience, l'aide à traverser le deuil de son conjoint et de son père. La broderie diamant tient son nom du fait que le dessin se réalise en installant des strass en résine sur une toile autocollante en suivant un diagramme directement imprimé sur celle-ci. Une pratique qui lui offre un bain de couleurs propre à soigner les blessures, un moment de repos émotionnel et mental dans la concentration d’une activité manuelle. Plus encore, elle livra son intention d'en réaliser quelques unes pour l'EPHAD où vit actuellement sa maman ... Sa simplicité et son authenticité révéla à tous la beauté de son geste.

Pour ma part, la pratique du collage, que je transmets régulièrement dans le cadre d'ateliers, au sein de l'association, m'a également beaucoup apportée. L'immersion dans un monde constitué d'images découpées dans de vieilles encyclopédies d'histoire de l’art, mises au rebut, et l'énergie créatrice qui s'en dégage, donne la possibilité de s'exprimer, de se rencontrer, de sublimer.
L'art, propre à l'Homme, éveille les consciences à la beauté. Valérie, émue, témoigne de l'éveil bouleversant produit chez elle par sa rencontre avec les écrits de Christian Bobin.
Nous aurons aussi échangé rapidement sur l'écrivaine juive hollandaise Etty Hillesum et de ses états quasi mystiques vécus au sein du camps de la mort d'Auschwitz, où elle mourut en 1943. Dans son journal, publié sous le titre Une vie bouleversée, elle exprime ses moments de désespoir, ses atroces souffrances et aussi elle révèle des instants d'une beauté rare. Des états de conscience ou l'amour inconditionnel pour l'humanité tout entière a pu rayonner en elle et autour d'elle, malgré le plus horrible dénuement qui soit.
L'art amène à la profondeur de nos âmes, à la transcendance. Comme un miracle, il génère une harmonie puissante, un rayonnement dont nous avons tant besoin ...
Avec indécence, aujourd'hui, on a tendance à forcer l'extase permanent, en criant haut et fort, partout et en toutes circonstances (ou presque) : "Que La vie est belle !" Non, la vie sur terre n'est pas toujours belle ! Il ne faut pas le nier ...

Je citerai Lytta Basset. Le jour des obsèques de son fils, qui s'est suicidé, elle ressent la beauté de l'explosion printanière de la nature, comme une insulte, jetée à la figure de leur chagrin et de leur dévastation. Sublimant sa douleur et sa colère, dans un poème, elle écrit :
Dehors, le printemps explose. Tous les soleils sont éteints. Il faut jeter sur la tombe les derniers boutons d'or.
Les conditions terrestres et du vivant sont cruelles, elles génèrent des horreurs. En cela, les facultés créatrices de l'homme, le beau émanant des œuvres d'art avec lesquelles nous rentrons en communion, le regard poétique intérieur et la lumière du Soi, sont comme des bénédictions face à ce monde violent qui provoque en nous tant d'effroi. Grâce au Beau, par la sublimation qui peut mener à la transcendance, nous pouvons trouver la force d’affronter les dures réalités de la vie, et faire en sorte que nos âmes n'en soient pas totalement et définitivement altérées. La quête de beauté est peut-être éminemment liée à la quête spirituelle. S’ouvrir à ces expériences nous amène à ressentir l’Unité, à être en lien avec nous même et le monde. Le temps d’une création, le temps d’une contemplation, dans le don et l’accueil d’un amour, nous vivons la plus profonde et la plus belle part de nous-même.
Nathalie Géraux
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