Ce mois-ci, la rubrique mensuelle de l'association Absence/Présence présente trois textes bouleversants écrits par des mamans en deuil : un poème de Lucie Grall intitulé L'absence suivi de Au royaume des deux fils, texte en prose de Nathalie Géraux et une lettre adressée à son fils de Nadine La Gac, La vie sans toi.
L'absence
Lucie Grall
Ce premier printemps sans toi
Il me brûle il me broie
Et me laisse sans voix
Ton absence est partout
Nouée à mon coeur
Pendue à mon cou
Restent les souvenirs
Vibrant à ma mémoire
Ton enfance turbulente, gourmande
Blancheur de lait
Petite tête blonde couchée sur l'oreiller brodé
d'innocence et de paix
Petits poings serrés sur des trésors cachés
bricolés en secret
Ta volonté, si tôt, de te joindre à la ronde
un désir cinglant
De découvrir le monde
Ta jeunesse gonflée d'amitiés
Tes guerres et tes colères
Tes escapades solaires
Ton appétit de vivre toutes les fraternités
Dans l'ivresse des fêtes et les joies de l'été
Et tes dernières années
portées à bout de bras
Où rodait la mort en silence
Tes rêves, tes trêves et guérillas
A bout de souffle, au fond des draps
sur le front de tes nuits
Ton absence est partout
Elle ne me quitte pas
Au royaume des deux fils
Nathalie Géraux
Pas de mot pour nommer les frères qui n’en n’ont plus.
Je donnerais tout, tout pour partager, encore une fois, un bon repas entourée de mes deux garçons au restaurant Les pieds dans l’eau.
Face à l’océan bleu-vert, nous buvons notre café au goût amer. Souvenir au parfum divin. Contemplatifs, nos regards sont comme hypnotisés par l’horizon immense et dégagé. Nous nous taisons ; en cet instant, sur cette magnifique plage du Cap-Coz, nous nous sentons tellement bien.
Je donnerais tout. Tout pour vous voir ensemble – encore une fois – mes deux fils complices et joueurs. Vous vous roulez dans le sable avec la joie et l’insouciance retrouvée d’une enfance partagée. Régression légère au goût de châteaux de sable creusés à quatre mains. Je vous regarde. J’entends vos rires. La plupart du temps, on se souvient des instants bien plus que des jours, Cesare Pavese avait raison.
Je suis la reine, au royaume des deux fils. La reine très gâtée, une belle et longue soirée d’été. Étonnée et consciente devant la beauté de son petit territoire joyeux, là, sous ses yeux.
Deux genoux, deux bras, deux hanches. Un cœur.
J’ai été la mère aimée affectueusement. J’ai été la mère choyée presque amoureusement. J’ai été la mère chahutée et charriée tendrement dans des pouffées de rire. J’ai été la mère fatiguée au service de son royaume aux deux habitants.
La reine est dévastée. La reine est désespérée. La reine est épuisée.
Son royaume est triste. Son royaume est solitude. Son trône a un côté face. Son trône a un côté pile. Son trône est entre deux mondes.
Je suis la mère aux deux fils. La mère au fils qui est. La mère au fils qui n’est plus.
Mon royaume élargi. Mon territoire infini. Mon amour ne connaît plus les limites.
La vie sans toi
Rien n'est plus comme avant
Nadine Le Gac
Maxime, mon fils, la maladie dont tu souffrais t’a conduit au suicide, le 28 décembre 2021.
C’est ton frère, Sylvain et moi qui t’avons trouvé ce jour là. Pas de mot pour d’écrire ce que nous avons vécu à ce moment-là, les mots sont trop faibles.
J’ai entendu : « sois forte. Sylvain est là. On sera là. ». Mais finalement, on s’aperçoit qu’assez rapidement on ne vous contacte plus. Même la famille la plus proche nous abandonne. Pour tenter de garder quelques fidèles autour de soi, on se dit alors qu’il ne faut plus parler de toi, qu’il faut surtout éviter de pleurer, qu’il faut apprendre à les protéger au détriment de soi.
J’ai entendu des propos sidérants. J’ai subi des comportements irrespectueux dénués de toute empathie, dénués de courage. J’ai reçu des conseils sur ce que je devais faire.
J’ai entendu des « Mais oui ! Ça ira ! » dits sur un ton léger le sourire aux lèvres, comme si j’avais juste un mal de gorge…
Ton frère et moi continuons de parler de toi, de tes expressions favorites, de tes comportements, de ta générosité, de ta grande empathie envers tous les gens qui souffrent, de ta pudeur. Tu ne te plaignais jamais.
Avec ton frère, on s’était dit qu’on parlerait toujours de toi au présent. Mais, la réalité nous a rattrapé. Sur les murs de la maison, beaucoup de photos de toi comme pour compenser ton absence.
Sylvain a repris le cours de sa vie et moi j’ai du mal à m’y accrocher. Là, physiquement mais intérieurement absente. Je me sens comme une petite fille à qui on doit réapprendre à marcher. Ma vie bien entamée, mon âge avancé sont mes seuls réconforts. Peut-être te retrouverai-je bientôt.
Pour ton frère car je l’aime très fort aussi, pour le moment encore, j’essaie d’être présente comme je le peux. Il n’a plus que moi.
Rejoindre un groupe de parole pour les parents ou les conjoints en deuil
Participer à une séance d'atelier d'écriture du souvenir
Contacter l'association au 06 30 80 32 95
Par mail : leschosesdelavie@zohomail.eu
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