Une vingtaine de personnes ont confié à l'association les poèmes qui ont le mieux exprimé leurs émotions et états d'âme après le décès d'une personne aimée.

La poésie cristallise, sublime, transcende ...
L'extrême intensité des émotions, le paroxysme de la douleur, l'incommunicabilité, nous obligent parfois à nous tourner vers la lecture de l'écrit poétique. Face à un épouvantable chagrin, les mots sont tout d'un coup trop étroits, désuets et petits, la poésie nous offre alors une alternative à cette insupportable vacuité. Catharsis, exutoire, baume aux vertus apaisantes, ode à nos amours perdus ... elle tord le coup à l'horreur pour créer de la beauté, exhorte nos forces vitales à tenir bon, expulse nos colères ou nos révoltes, elle trouve la fréquence à la hauteur de la puissance de notre amour.
Les vers et les poèmes envoyés révèlent encore et toujours la traversée des siècles de certains textes. Tels des petits joyaux, ils ont conservé la force de leur authenticité émotionnelle, la beauté de leur musicalité et la puissance d'évocation de leurs images et cela, malgré une forme littéraire marquée par une époque qui a quelquefois un peu vieilli . Aussi, d'autres textes plus contemporains, nous rappellent que la poésie ne meurt jamais.
La variété des références donnent aussi à voir les différents goûts et sensibilités de chacun, la disparité des situations personnelles et des contextes de deuil.
Commençons ce parcours poétique avec un texte d'Andrée Chédid. En quelques vers, la poétesse éclaire les raisons de notre recours à cette forme littéraire, quintessence des émotions.
Lorsque nos mots se gercent
Que nos rêves se plombent
Que nos yeux s'emmurent
La poésie
A l'envers des talus
Ramifie le sens
Élargit le secret
Entraîne dans un souffle
Les poussières du jour
Les maillons nocturnes
Merveilles et détresses
Vers un autre littoral

Demain, Dès l'aube ...
Les contemplations
Victor Hugo
Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Le néant n'est que moi-même
L'archangélique et autres poèmes
Georges Bataille
Le néant n’est que moi-même
l’univers ma tombe
le soleil n’est que ma mort
mes yeux sont l’aveugle foudre
mon coeur est le ciel
où l’orage éclate
en moi-même
au fond d’un abîme
l’immense univers est la mort

Chanson d'automne
Poèmes saturniens
Paul Verlaine
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon cœur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants
Une connaissance inutile
Charlotte Delbo
Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
un vêtement qui vous va bien
qui vous va mal
qui vous va à peu près
vous qui passez
animés d’une vie tumultueuse aux artères
et bien collée au squelette
d’un pas alerte sportif lourdaud
rieurs renfrognés, vous êtes beaux
si quelconques
si quelconquement tout le monde
tellement beaux d’être quelconques
diversement
avec cette vie qui vous empêche
de sentir votre buste qui suit la jambe
votre main au chapeau
votre main sur le cœur…la rotule qui roule doucement au genou
comment vous pardonner d’être vivants…Vous qui passez
bien habillés de tous vos muscles
comment vous pardonner
ils sont morts tous
Vous passez et vous buvez aux terrasses
vous êtes heureux elle vous aime
mauvaise humeur souci d’argent
comment comment
vous pardonner d’être vivants
comment comment
vous ferez-vous pardonner
par ceux-là qui sont morts
pour que vous passiez
bien habillés de tous vos muscles…
que vous buviez aux terrasses
que vous soyez plus jeunes chaque printemps
je vous en supplie
faites quelque chose
apprenez un pas
une danse
quelque chose qui vous justifie
qui vous donne le droit
d’être habillé de votre peau de votre poil
apprenez à marcher et à rire,
parce que ce serait trop bête
à la fin
que tant soient morts
et que vous viviez
sans rien faire de votre vie.
Je reviens…d’au-delà de la connaissance
il faut maintenant désapprendre
je vois bien qu’autrement
je ne pourrais plus vivre.
Et puis
mieux vaut ne pas y croire
à ces histoires
de revenants
plus jamais vous ne dormirez
si jamais vous les croyez
ces spectres revenants
ces revenants
qui reviennent
sans pouvoir même
expliquer comment.

Enfin la Royaume : quatrains
extrait
François Cheng
Et puis, un jour, tu affrontas la souffrance,
T’éloignas, laissas derrière toi la béance.
Nos jours ne sont plus qu’un jardin délaissé,
Parfois, tu souris là, au bout de l’allée.

Première élégie
Les Élégies de Duino
Rainer Maria Rilke
Des voix, des voix. Écoute, mon cœur, comme jadis seuls des saints écoutaient : au point que l'appel gigantesque
les soulevait du sol ; mais eux, toujours restaient agenouillés,
inébranlables, et n'y prêtaient pas attention :
C'est ainsi qu'ils étaient, écoutant. Non que de Dieu tu puisses supporter
la voix, il s'en faut. Mais écoute le souffle de l'espace,
le message incessant, qui est fait de silence.
Une rumeur maintenant monte de ces jeunes morts vers toi.
Dans tous les lieux où tu entras, dans les églises de Rome ou de Naples,
leur destinée ne te parla-t-elle pas un langage apaisé ?
Ou bien une inscription t'imposait sa grandeur,
comme récemment cette plaque de Santa Maria Formosa.
Ce qu'ils veulent de moi ? Avec douceur je dois détacher d'eux
le semblant d'injustice qui parfois gène un peu
leurs esprits dans leur mouvement pur.
Il est étrange, certes, de ne plus habiter la terre,
de ne plus suivre des usages qu'à peine on venait d'apprendre,
de ne donner ni à des roses, ni à des choses, dont chacune était une promesse
la signification de l'avenir humain ;
de n'être plus ce qu'on était dans l'angoisse infinie des mains,
et d'abandonner jusqu'à son propre nom,
comme un jouet brisé.
Étrange de ne plus souhaiter les désirs. Étrange
de voir ce qui était lié flotter, détaché et libre,
dans l'espace. Être mort est plein de peine
et il y a tant à retrouver pour sentir peu à peu
une parcelle d'éternité. Mais les vivants commettent
tous l'erreur de faire des distinctions trop fortes.
Les anges ( dit-on ) souvent ne sauraient pas s'ils passent parmi
des vivants ou des morts. L'éternel courant
à travers les deux règnes entraîne tous les âges
avec lui sans arrêts, et dans tous deux il domine leurs voix.
A tout prendre, ils n'ont plus besoin de nous, les jeunes que la mort enleva,
on se sèvre des choses terrestres doucement, comme avec douceur du sein
maternel on se détache en grandissant. Mais nous, qui avons besoin
de si grands mystères, nous, pour qui un progrès bienheureux si souvent
naît du deuil : sans eux, pourrions-nous être ?
Est-ce une vaine légende de penser que jadis, pour pleurer Linos,
la première musique osa pénétrer la dureté de la matière inerte,
si bien qu'alors, dans l'espace effrayé auquel, si jeune et presque un Dieu,
Soudain il échappait pour toujours, le vide, ébranlé, connut enfin cette
vibration, qui maintenant nous entraîne et nous console et nous aide.

Poèmes bleus
Georges Perros
Elle est ce mur horizontal
Où s’appuyer quand rien ne va
Et rien ne va plus trop souvent
Cette béquille infatigable
Qui n’en finit pas de jeter
Sa parabole au fond des sables
Dans le cœur mat d’un coquillage
On l’entend encore chanter

Soleil couchant
Les Trophées
José-Maria de Heredia
Les ajoncs éclatants, parure du granit,
Dorent l’âpre sommet que le couchant allume ;
Au loin, brillante encor par sa barre d’écume,
La mer sans fin commence où la terre finit.
A mes pieds c’est la nuit, le silence. Le nid
Se tait, l’homme est rentré sous le chaume qui fume.
Seul, l’Angélus du soir, ébranlé dans la brume,
A la vaste rumeur de l’Océan s’unit.
Alors, comme du fond d’un abîme, des traînes,
Des landes, des ravins, montent des voix lointaines
De pâtres attardés ramenant le bétail.
L’horizon tout entier s’enveloppe dans l’ombre,
Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre,
Ferme les branches d’or de son rouge éventail.

Tu peux pleurer son départ ou ...
Funérailles civiles, mode d'emploi
Camille Gouzien et Dominique Riquier
Tu peux pleurer son départ
Ou tu peux sourire parce qu'il a vécu
Tu peux fermer les yeux
Et prier pour qu'elle revienne
Ou ouvrir les yeux
Et voir qu'elle est partie
Ton coeur peut être vide de ne plus la voir
Ou il peut être rempli
De l'amour qu'elle a partagé
Tu peux tourner le dos à demain
A cause du passé
Tu peux te souvenir d'elle
Et seulement qu'elle n'est plus
Ou tu peux chérir sa mémoire
Et la laisser vivre
Tu peux pleurer et te refermer
Être vide et tourner le dos
Ou tu peux faire ce qu'elle aurait voulu
Sourire
Ouvrir les yeux
Aimer
Et aller de l'avant.

A propos d'un fauteuil et d'un arbre
L'autre moitié du songe m'appartient
Alicia Gallienne
Pour toi maman,
Doucement, je reprendrai ma place dans le grand fauteuil qui s’endort.
Le soir sera à la fenêtre, il dansera sur une chanson douce, comme chantait ma maman.
Il dansera jusqu’à l’étourdissement.
L’arbre du jardin s’éteindra dans l’ombre et soupirera des prières pleines de feu.
Mon âme s’abandonnera alors à ces psaumes silencieux qui embraseront ton nom.
Oui, je serai là où mon bonheur habite, entre ces quatre murs où aboutit le regard de l’obscurité,
Où il n’y aura que moi et mon fauteuil, puis l’espace pour t’appartenir.
Dire que je t’aime et je t’attends, c’est encore beaucoup trop de pas assez.
Les étoiles en veilleuse et le ciel qui se fond me parleront de toi où que tu sois.
Je t’attendrai, assise, avec mon cœur qui débordera.
Oui je sais que le moment viendra où tu me retrouveras.
L’arbre du jardin s’épaissira tout à coup.
Et éclatera mon attente figée ainsi que la fenêtre de vitres brisées.
Des milliards de miroirs s’envoleront dans l’air du soir.
Dans chacun, épris de mouvement, ta voix reviendra bercer mon enfance.
L’arbre mystique qui connaît tous les chemins, te rendra à moi pour la mémoire d’un voyage.
Bois ma nuit, éternellement.
Dire que je t’aime et je t’attends c’est encore beaucoup trop de pas assez

Recueillement
Les Fleurs du mal
Charles Baudelaire
Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,
Loin d’eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;
Le Soleil moribond s’endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l’Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Il y a des choses que je ne dis à Personne. Alors, ...
Aragon
Elles ne font de mal à personne Mais
Le malheur c’est
Que moi
Le malheur le malheur c’est
Que moi ces choses je les sais
Il y a des choses qui me rongent La nuit
Par exemple des choses comme
Comment dire comment des choses comme des songes
Et le malheur c’est que ce ne sont pas du tout des songes
Il y a des choses qui me sont tout à fait
Mais tout à fait insupportables même si
Je n’en dis rien même si je n’en
Dis rien comprenez comprenez moi bien
Alors ça vous parfois ça vous étouffe
Regardez regardez moi bien
Regardez ma bouche
Qui s’ouvre et ferme et ne dit rien
Penser seulement d’autre chose
Songer à voix haute et de moi
Mots sortent de quoi je m’étonne
Qui ne font de mal à personne
Au lieu de quoi j’ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle
Je sais bien qu’il ne le faut pas
Mais que voulez-vous que j’y fasse
Ma bouche s’ouvre et l’âme est là
Qui palpite oiseau sur ma lèvre
O tout ce que je ne dis pas
Ce que je ne dis à personne
Le malheur c’est que cela sonne
Et cogne obstinément en moi
Le malheur c’est que c’est en moi
Même si n’en sait rien personne
Non laissez moi non laissez moi
Parfois je me le dis parfois
Il vaut mieux parler que se taire
Et puis je sens se dessécher
Ces mots de moi dans ma salive
C’est là le malheur pas le mien
Le malheur qui nous est commun
Épouvantes des autres hommes
Et qui donc t’eut donné la main
Étant donné ce que nous sommes
Pour peu pour peu que tu l’aies dit
Cela qui ne peut prendre forme
Cela qui t’habite et prend forme
Tout au moins qui est sur le point
Qu’écrase ton poing
Et les gens Que voulez-vous dire
Tu te sens comme tu te sens
Bête en face des gens Qu’étais-je
Qu’étais-je à dire Ah oui peut-être
Qu’il fait beau qu’il va pleuvoir qu’il faut qu’on aille
Où donc Même cela c’est trop
Et je les garde dans les dents
Ces mots de peur qu’ils signifient
Ne me regardez pas dedans
Qu’il fait beau cela vous suffit
Je peux bien dire qu’il fait beau
Même s’il pleut sur mon visage
Croire au soleil quand tombe l’eau
Les mots dans moi meurent si fort
Qui si fortement me meurtrissent
Les mots que je ne forme pas
Est-ce leur mort en moi qui mord
Le malheur c’est savoir de quoi
Je ne parle pas à la fois
Et de quoi cependant je parle
C’est en nous qu’il nous faut nous taire

Planète des ombres
extrait
Christophe Lartas
De grands vaisseaux d'argent nous emporteront- ils, lorsque le désespoir aura rongé nos cœurs ? De grands vaisseaux d'argent nous emporteront- ils vers les cités de jaspe et les palais de jade, là même où festoyaient les archanges et les fées, lorsque le désespoir aura rongé nos cœurs ? Et flotterons-nous, légers, dans l'écume des mondes ? Dans la blancheur des gouffres mystiques, disparaîtrons-nous doucement, tout à la joie ineffable de n'être plus rien ? Nous poserons-nous quelque part, sur les rives de l'infini monotone qui trouble seulement, par intervalles, le chuchotis du vide embrassant le silence ?... Parfaitement dissous, et peut-être absous, intègrerons-nous les chairs étranges du néant primordial? La lumière du matin du printemps éternel ?...

Ce monde n'est pas une conclusion
Extrait
Emilie Dickinson
Ce monde - ci n'est pas une conclusion .
Il y a une suite au-delà -
Invisible comme la musique -
Mais réelle comme le son -

Ballade des pendus
François Villon
Frères humains, qui après nous vivez,
N’ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s’en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a bués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A lui n’ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n’a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Arrêter les pendules
W. H. Auden
Arrêter les pendules, couper le téléphone,
Empêcher le chien d'aboyer pour l'os que je lui donne,
Faire taire les pianos et les roulements de tambour
Sortir le cercueil avant la fin du jour.
Que les avions qui hurlent au dehors
Dessinent ces trois mots Il Est Mort,
Nouer des voiles noirs aux colonnes des édifices
Ganter de noir les mains des agents de police
Il était mon Nord, mon Sud, mon Est, mon Ouest,
Ma semaine de travail, mon dimanche de sieste,
Mon midi, mon minuit, ma parole, ma chanson.
Je croyais que l'amour jamais ne finirait : j'avais tort.
Que les étoiles se retirent, qu'on les balaye
Démonter la lune et le soleil
Vider l'océan, arracher les forêts
Car rien de bon ne peut advenir désormais.

Les étrennes des orphelins
Arthur Rimbaud
La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
Leur front se penche, encore alourdi par le rêve,
Sous le long rideau blanc qui tremble et se soulève…
– Au dehors les oiseaux se rapprochent frileux ;
Leur aile s’engourdit sous le ton gris des cieux ;
Et la nouvelle Année, à la suite brumeuse,
Laissant traîner les plis de sa robe neigeuse,
Sourit avec des pleurs, et chante en grelottant…
Or les petits enfants, sous le rideau flottant,
Parlent bas comme on fait dans une nuit obscure.
Ils écoutent, pensifs, comme un lointain murmure…Ils tressaillent souvent à la claire voix d’or
Du timbre matinal, qui frappe et frappe encor
Son refrain métallique en son globe de verre…
– Puis, la chambre est glacée… on voit traîner à terre,
Épars autour des lits, des vêtements de deuil
L’âpre bise d’hiver qui se lamente au seuil
Souffle dans le logis son haleine morose !
On sent, dans tout cela, qu’il manque quelque chose…
– Il n’est donc point de mère à ces petits enfants,
De mère au frais sourire, aux regards triomphants ?
Elle a donc oublié, le soir, seule et penchée,
D’exciter une flamme à la cendre arrachée,
D’amonceler sur eux la laine et l’édredon
Avant de les quitter en leur criant : pardon.
Elle n’a point prévu la froideur matinale,
Ni bien fermé le seuil à la bise hivernale ?…
– Le rêve maternel, c’est le tiède tapis,
C’est le nid cotonneux où les enfants tapis,
Comme de beaux oiseaux que balancent les branches,
Dorment leur doux sommeil plein de visions blanches !…
– Et là, – c’est comme un nid sans plumes, sans chaleur,
Où les petits ont froid, ne dorment pas, ont peur ;Un nid que doit avoir glacé la bise amère…
Votre coeur l’a compris :
– ces enfants sont sans mère.
Plus de mère au logis !
– et le père est bien loin !…
– Une vieille servante, alors, en a pris soin.
Les petits sont tout seuls en la maison glacée ;
Orphelins de quatre ans, voilà qu’en leur pensée
S’éveille, par degrés, un souvenir riant…
C’est comme un chapelet qu’on égrène en priant :
– Ah ! quel beau matin, que ce matin des étrennes !
Chacun, pendant la nuit, avait rêvé des siennes
Dans quelque songe étrange où l’on voyait joujoux,
Bonbons habillés d’or, étincelants bijoux,
Tourbillonner, danser une danse sonore,
Puis fuir sous les rideaux, puis reparaître encore !
On s’éveillait matin, on se levait joyeux,
La lèvre affriandée, en se frottant les yeux…
On allait, les cheveux emmêlés sur la tête,
Les yeux tout rayonnants, comme aux grands jours de fête,
Et les petits pieds nus effleurant le plancher,
Aux portes des parents tout doucement toucher…
On entrait !… Puis alors les souhaits… en chemise,
Les baisers répétés, et la gaîté permise !
Ah ! c’était si charmant, ces mots dits tant de fois !
– Mais comme il est changé, le logis d’autrefois :
Un grand feu pétillait, clair, dans la cheminée,
Toute la vieille chambre était illuminée ;
Et les reflets vermeils, sortis du grand foyer,
Sur les meubles vernis aimaient à tournoyer…
– L’armoire était sans clefs !… sans clefs, la grande armoire !
On regardait souvent sa porte brune et noire…
Sans clefs !… c’était étrange !… on rêvait bien des fois
Aux mystères dormant entre ses flancs de bois,
Et l’on croyait ouïr, au fond de la serrure
Béante, un bruit lointain, vague et joyeux murmure…
– La chambre des parents est bien vide, aujourd’hui
Aucun reflet vermeil sous la porte n’a lui ;
Il n’est point de parents, de foyer, de clefs prises :Partant, point de baisers, point de douces surprises !
Oh ! que le jour de l’an sera triste pour eux !
– Et, tout pensifs, tandis que de leurs grands yeux bleus,
Silencieusement tombe une larme amère,
Ils murmurent : » Quand donc reviendra notre mère ? «
Maintenant, les petits sommeillent tristement :
Vous diriez, à les voir, qu’ils pleurent en dormant,
Tant leurs yeux sont gonflés et leur souffle pénible !Les tout petits enfants ont le coeur si sensible !
– Mais l’ange des berceaux vient essuyer leurs yeux,
Et dans ce lourd sommeil met un rêve joyeux,
Un rêve si joyeux, que leur lèvre mi-close,
Souriante, semblait murmurer quelque chose…
– Ils rêvent que, penchés sur leur petit bras rond,
Doux geste du réveil, ils avancent le front,
Et leur vague regard tout autour d’eux se pose…
Ils se croient endormis dans un paradis rose…
Au foyer plein d’éclairs chante gaîment le feu…
Par la fenêtre on voit là-bas un beau ciel bleu ;
La nature s’éveille et de rayons s’enivre…
La terre, demi-nue, heureuse de revivre,
A des frissons de joie aux baisers du soleil…
Et dans le vieux logis tout est tiède et vermeil
Les sombres vêtements ne jonchent plus la terre,
La bise sous le seuil a fini par se taire …
On dirait qu’une fée a passé dans cela ! …
– Les enfants, tout joyeux, ont jeté deux cris…
Là,
Près du lit maternel, sous un beau rayon rose,
Là, sur le grand tapis, resplendit quelque chose…
Ce sont des médaillons argentés, noirs et blancs,
De la nacre et du jais aux reflets scintillants ;
Des petits cadres noirs, des couronnes de verre,
Ayant trois mots gravés en or : " A NOTRE MÈRE ! "

Élévation
Les fleurs du mal
Charles Baudelaire
Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.
Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.
Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;
Celui dont les pensées, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

Laissez-moi, dit Pollagoras
La vie sous les plis
Henri Michaux
Laissez-moi, dit
Pollagoras, je suis fatigué de l'épi querelleur.
Le temps est venu pour moi.
Laissez.
Mon sang a perdu son colloïdal.
Mon être tout entier dépose des pierres.
Le démantèlement commença avec la mort de quelqu'un avec qui je vivais.
Ce quelqu'un était femme, c'est-à-dire propre à s'insinuer dans tous les couloirs de l'âme.
Elle tomba dans la
Mort.
Soudain.
Sans aucun accord.
Loin de la grève, la mer se retira.
L'ensablement gagna les étendues, les étendues et les profondeurs, et une nuit se présenta qui effraya ma nuit, celle pourtant vaste avec laquelle depuis longtemps je me couvrais du jour insupportable des autres.
Je lâchai vite quelques fusées mais la nuit les absorba sans s'altérer, et filèrent les vaines fusées sans éclairer plus que quelques poussières et disparurent sans gerbe, sans éclat, loin du visage noir de l'artificier.
Il est venu avec les pluies, mon camarade, celui qu'on dit que chacun a dans son dos.
Il est venu avec les pluies, triste, et il ne s'est pas encore séché.
J'ai pris quelques départs depuis.
J'ai abordé quelques rivages nouveaux.
Mais je n'ai pu le désattrister.
Je me lasse à présent.
Mes forces, mes dernières forces...Son vêtement mouillé — ou est-ce déjà le mien? — me fait tressaillir.
Il va falloir rentrer.

Jeunesse morte
Foi, espérance et carnage de Nick Cave
Poème de Tiffany
Quand la jeunesse morte clignote
sur ton
2 heures du matin
le flic qui annonce
ça te coupe le
te dérobe le
te fige le
te paralyse le
les genoux
le cerveau
tu arrives à l'hôpital
face à la jeunesse morte
il est il est il est il est
sur un lit d'
tuyaux dans ses
sur un
sous la
dans la
chambre pour mesurer sa taille
sa chambre de bébé
et là on le voit
grandir
tu as vu ?
les marques au crayon sur le
papier peint 2 ans, 3,4 et demi,6,7,9 3/4,10,13,
et son cher
qui remplissait la maison de
muet
les dessins de sa sœur sur la
chaise où il
le voilà allongé
raide
tuyaux dans ses
pâleur livide
c'est ton
ce n'est pas ton fils
tu le serres pour la dernière
petit sanglot qui tombe
gelé
tu veux
tu veux
à jamais
la jeunesse morte t'embrasse
t'enveloppe de froid
ton fils
qui regarde
ton fils
manquant
tends la main jusqu'à
tout va bien maman
tout va bien maman
ici
la lumière est belle
je suis heureux
vraiment
tu l'embrasses une
tu l'embrasses
dernière fois et tu rentres
auprès de son papa
main dans la main souffle court
attendre
que se lève l'aube redoutée
ta fille qui dort
pour l'éveiller

Une fenêtre où se pencher
Seul le visage
Andrée Chedid
Je ne crois plus aux naufrages.
Il y a un masque bleu au fond de tous les puits ;
Les porteuses de pain se succèdent,
Les vies se souviennent d’autres vies.
Il restera toujours une fenêtre où se pencher,
Des promesses à tenir,
Un arbre où prendre appui.
Quelque part existe le visage de notre terre.
Qui nous dira son nom ?

Merci à tous les braves au coeur brisé pour ces partages poétiques, liqueurs fortes pour les dures épreuves et les traversées en eaux troubles ...
Rejoindre un des groupes de parole pour les personnes en deuil organisés par l'association ou nous accueillir et mettre en place un temps de parole, un atelier d'écriture thérapeutique
Contacts par téléphone
Consulter le site internet pour en savoir plus https://www.leschosesdelavie.net/

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